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Les lieux, les personnes et entre les deux, les états d'âmes

Photo du rédacteur: France DFrance D

8, 2000

Dix kilomètres de route pour que la forêt nous traverse. Le gravier se transforme en poussière, nous enveloppe puis nous emporte. Nous naviguons à travers les soubresauts, les soudaines montées abruptes et l'étroitesse du chemin. Nous gardons les yeux fixés devant nous pour prévenir les dérapages, souhaitant ne pas rencontrer qui ou quoi que ce soit. On ne croisera aucun regard et ne sentirons aucun souffle. Combien de kilomètres encore? Sept. Le temps s'allonge.


Ce chemin cent fois emprunté mène au lac au creux des montagnes. Depuis que nous le fréquentons, le paysage, nous semble-t-il, est resté le même. Il a conservé toutes les images de nos passages tels des polaroids trop exposés ou brouillés, souvent mal cadrés.


Ce lieu est si imprégné de nous, ensemble, qu'y être sans eux, c'est comme une anomalie, une erreur, un manque. Nos traces en apparence absentes sont visibles à la lumière infrarouge de nos mémoires.


Il y a dans les grains de sable cette image de ma fille, petite, s'enfonçant sur la pointe des pieds dans l'eau froide jusqu'au cou. Elle se retourne les lèvres légèrement bleues en retenant son souffle et ses yeux ont la même couleur que le lac. "Elle est bouillante cette eau non?" dira-t-elle pour tenter de m'attirer dans l'infini. L'eau du lac lui aura transmis sa force tranquille. Puis à travers les herbes hautes, apparaît une embarcation et dedans, mon garçon et son père, en plein soleil, appâtant l'hameçon; il est devenu depuis un chercheur d'eau douce. Au bout d'un sentier longeant la côte, une image de nous sur un rocher et l'élan qui nous entraine dans les eaux noires; nos corps saisis, stupéfaits.


Nous y retournons avec les petits-enfants pour qu'à leur tour, ils fassent partie à jamais des lieux. Les rituels sont repris et la suite du monde se perpétue. Ils imprègnent leurs petits pieds sur la mousse des écorces et leur cri flotte dans l'air du temps.


À force de fréquentation, un lieu se charge d'une valeur symbolique et ce lac est devenu notre maison des enfances où loge à l'étage la nostalgie. Jadis considérée comme une émotion à chasser, la nostalgie est maintenant considérée comme un état d'âme qui peut donner un sens à la vie; un temps révolu auréolé de joie. Elle crée un filage qui relie l'espace à nos passages; une sorte d'espace-temps. À ce lac, tout existe en même temps et à jamais. Un état des âmes.








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