Annette

Elle est née en juin alors que l'été était déjà bien commencé. Il faisait chaud dans la chambre quand nous sommes allés à sa rencontre pour la première fois; l'air était rempli d'un souffle nouveau. Ses deux frères aux yeux brillants se sont précipités vers elle et de leurs petits doigts, ils ont touché sa joue; elle était bien réelle.

Ce monde devrait appartenir aux enfants; à leurs regards qui voient loin et à leurs petites mains qui sentent la potion magique.

Et puis du jour au lendemain, elle s'est mise à nous sourire comme si elle savait notre besoin de joie profonde. Alors que dehors tout nous échappe, elle nous rappelle à la vie.

Les yeux d'Annette sont d'un bleu si clair qu'il est possible d'y voir le début de l'univers. Un trou noir auréolé d'étoiles brillantes.

Quand le monde est trop lourd, je monte en haut la voir. Pour l'impressionner, je lui chante des airs d'opéra et pour l'aimer, je la berce dans mes bras. Peut-être aura-t-elle ce souvenir ancien d'avoir été aimé dès le début.

Nous l'armerons de la seule arme que nous possédons.

Car s'armer d'amour, c'est tout ce qu'il nous reste à faire. Ça et s'insurger. Plus j'aime, plus je m'insurge. Chaque beauté, chaque geste d'amour, chaque naissance renforcent mon sentiment. Alors l'amour et la colère sont maintenant indissociables. Les faces d'une même pièce.

Je ne crois pas possible en ce moment d'aimer et de ne pas être habité par une sourde colère. Mon amour n'est ni naïf ni romantique; il est viscéral et sanguin. Je reste au front.

Et si parfois je plie les genoux et peine à me redresser, je m'accroche aux yeux bleus d'Annette. Ils sont la mer et le ciel, l'avant et l'après. Ils donnent à voir ce que j'avais oublié.

Je l'aime.

Grand-maman