Ravauder le monde
- France D
- il y a 1 jour
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Ravauder comme dans remettre en état, réparer, recoudre les morceaux. En prenant deux fils à droite, deux fils à gauche, on réunit les mailles en suivant une ligne droite qui dévie parfois, mais tient bon.
Dans des tiroirs, une boîte remplie d'anciens matériaux de couture. Des tissus de toute sorte utilisés pour apprendre à faire un col rond, une manche droite, une poche, une fermeture éclair cachée. Des morceaux épars jamais rassemblés. Ma belle-maman les conserve depuis plus de 60 ans sans être capable de s'en départir. Elle est de cette époque où l'on remettait en état ce qui ne l'était plus et où l'on concevait, créait, et cousait les parties pour former un tout. Ce savoir-faire avait permis aux femmes d'avoir une certaine autonomie à une époque où tout était à faire.
Alors que nous peinons aujourd'hui à faire tenir ensemble nos sociétés de plus en plus morcelées, cette boîte de tissus donne envie de se remettre à la tâche et ravauder nos vies pour préserver à tout prix tout ce à quoi nous tenons, tout ce qui rend la vie belle, digne et pourvue de sens: se nourrir à sa faim, se loger avec quiétude, dormir toute la nuit, rire de bon coeur, adorer quelqu'un, écrire un mot d'amitié, se baigner dans un lac, consoler un bébé, se prendre par la main, défendre les "mal pris".
Puis, retisser un à un ces lieux communs où les mondes se touchent; là où l'on croise encore un caribou libre au sommet d'une montagne et là où nos pas se rejoignent dans une même intention. Se laisser affecter par la beauté et la peine du monde. Profiter des ombres pour s'aimer.
Le véritable ennemi est celui qui sait, qui possède les leviers pour que ça change, peut choisir de les activer, et qui ne le fait pas. De manière délibérée." Corinne Morel Darleux, Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce
La longue agonie des caribous, l'effacement de nos paysages et la vie digne qui échappe à trop d'entre nous ne sont pas, contrairement à ce que l'on tente de nous faire croire, le prix à payer pour le soi-disant progrès; ce sont des décisions délibérées pour lesquelles on nous dit maintenant qu'il en coûterait trop cher pour y remédier. La machine fuit devant à toute allure s'empiffrant de données humaines. Mais la maudite machine, comme dirait Pierre Flynn, faudrait la casser.
D'abord, s'entendre sur ce qu'il y a à casser. Les agitateurs de foule voudraient nous faire croire que ce sont ces "autres" qui brisent le système, ces "différents" qui refusent de faire tribu. On nous demande de rejeter la quête de la vie belle pour la vie repliée. Celle où la justice n'est pas pour tous. Ils réussissent à s'accaparer de nos peurs les plus profondes pour nous convaincre de maintenir l'ordre social établi même si celui-ci détruit les rêves. Les plus riches d'entre eux nous abandonnent à notre sort en pensant s'autosuffire à eux-mêmes, ne souffrant plus de vivre en notre compagnie.
Comment gagner la guerre culturelle ?
Ils s'adonnent aux clivages sociaux alors que tout appelle à faire front ensemble dans un même mouvement qui force le futur à advenir plus tôt et qui prend chaque morceau épars de nos vies pour les rafistoler. Reprendre confiance en notre capacité de réparer le monde et se transformer ensemble. Réparer un grille-pain soi-même donne le courage et l'envie de réparer des liens brisés.
"Là, se disent-ils, dans les abysses qui recèlent tant de trésors et de surprises, de vie aussi, se trament peut-être d'autres étoffes qui certes n'auront pas la douceur de la soie mais auront la résistance du tissu entrecroisé de mille liens, mille fois remis sur le métier." Corinne Morel Darleux
Les bouts de tissus, les fermetures éclair, les aiguilles, les patrons, les fils, les boutons sont d'autant d'éléments qui seront nécessaires pour retisser le filet social et refermer les trous laissés par les mines à ciel ouvert. Coudre ensemble une bannière commune derrière laquelle nous marcherons ensemble avec toutes nos différences. Merci belle-maman d'avoir gardé tous ces morceaux dans ta boite; ils vont nous être utiles pour la suite.
*Photos tirées du projet "Ravauder le monde".















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