Parce qu'une fois que l'on sait, on ne peut plus ne pas savoir. Je sais. Et nous savons. Sauf Thierry, mon petit-fils numéro 4 qui vient d'arriver dans notre monde; lui, il ne sait pas encore. Il est tout neuf. Chaque jour, il apprend quelque chose de nouveau; un son jamais entendu, une odeur jamais sentie, un objet jamais vu. On a dû calmer ses ardeurs tout le long de sa fabrication tellement il était pressé de savoir. Grâce au courage de sa maman, de son père, de sa petite sœur et de tous ceux qui ont apporté leur aide, il a finalement pris son temps et nous a rejoint dans l'aventure.
Il faut dire qu'il arrive à un moment de notre histoire où les eaux montent, les vents se lèvent et les feux rugissent. Nous le savons tous au fond de nous qu'il se passe quelque chose avec notre monde. Nous divergeons peut-être d'opinion sur les actions à prendre, sur les chemins à suivre, mais même ceux qui sont dans le déni savent. Nous savons, mais nous avons désappris; désappris à voir les signes avant-coureurs, à penser et imaginer les uns avec les autres, à faire sens en commun. Ce monde où l'économie prend toute la place nous a confisqué les autres dimensions de la vie au nom du progrès réduit aujourd'hui à l'impératif de la croissance.
La vie est ailleurs. Elle est dans les communautés qui se battent pour préserver un boisé et toute la vie qui s'y trouve. Elle est dans la famille qui s'entraide pour prendre soin les uns des autres. Elle est dans ce potager que l'on cultive pour réapprendre à aimer la terre. Elle est dans les forêts où les caribous souhaitent revenir y vivre. Elle est dans cette main tendue à ceux qui en arrachent. Elle est avec ceux et celles qui se battent pour plus de justice, plus d'humanité. Elle est dans ce petit coin du monde qui est le nôtre.
Je veux que Thierry sache qu'il y a plein de monde qui refuse de se fermer les yeux; du monde qui ne savent peut-être pas encore quoi faire, mais qui sont prêts à se battre pour tous les petits Thierry. Je les connais, je marche à leurs côtés.
