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Voir à nouveau

Dernière mise à jour : 14 juin 2021

« Retrouver la fraicheur du regard, oublier ce que l’on croit savoir, se tenir devant les êtres et les choses comme si on les voyait pour la première fois. » André Frossard


Petit-fils numéro deux est arrivé à l'improviste et sans sonner. Tout s'est passé très vite; un test, un appel et voilà que sa courageuse maman le précipitait dans le monde, notre monde. Telle une fée marraine qui prodiguait des dons dans les contes pour enfants, je me suis penchée sur son petit lit à l'hôpital; ce lien qui durera toute ma vie venait d'être créé.


Le jour suivant, il s'est installé tout bonnement au deuxième étage de la maison avec ses parents, son frère, petit fils numéro un et les deux chats. Nous ignorons tout de lui et lui de nous. Son frère qui est encore lui-même tout nouveau semble toutefois le reconnaitre; comme s'ils s'étaient croisés en quelque lieu il n'y a pas si longtemps.


L'avenir du monde ne peut reposer sur ses petites épaules ni sur celles des autres nouveau-nés, mais sans eux, le monde ne pourrait ni se renouveler ni avancer. Car avec les années, les épreuves et mêmes les joies, notre regard s'use et peine à voir sans a priori. Ce petit inconnu interrompt cette usure et permet au monde de voir à nouveau.


D'ailleurs, ses beaux grands yeux s'ouvrent de plus en plus souvent. Le regard qui n'a jamais vu est si clair qu'on peut se voir dedans, et ses yeux sont si profonds "qu'en me penchant pour boire, j'ai vu tous les soleils y venir se mirer" (Aragon).


Dérangé par la lumière, c'est dans la semi-obscurité qu'il voit le mieux, surtout la nuit quand sa mère le tient serré tout contre elle et qu'il devine plus qu'il ne le voit, son amour infini.


Sa vision du monde est comparable à un tableau de Paul Cézanne; une mosaïque abstraite d'où émerge des formes. Ce n'est que plus tard que petit-fils pourra déchiffrer ce qu'il l'entoure car on ne voit pas qu'avec les yeux, on voit avec l'esprit. Si "voir avec les yeux d'un enfant" peut sembler facile, il n'en n'est rien pour nous qui avons l'esprit encombré d'images et de raccourcis.


Alors, en dépit des temps troubles et inédits qui jettent un voile sur une partie de notre visage, il faudra faire l'effort de voir à nouveau avec un regard qui donne, qui offre et qui s'émerveille.


Et dans la pénombre de sa chambre, logé au creux de mes bras, petit-fils verra alors dans mes yeux l'essentiel soit une mer d'amour dans laquelle il pourra se baigner avec son grand frère jusqu'à ce que mes yeux se ferment et même au-delà.












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